Un père tente de donner des conseils de golf à son jeune fils visiblement découragé sur un parcours automnal.Transmettre sa passion du golf à ses enfants peut vite basculer en moment de tension si le plaisir du jeu laisse place à la pression de performance.

Un dimanche d’automne, sur le fairway du trou numéro 3 d’un petit golf de province, un père encourage son fils à reprendre son club. Le garçon de huit ans, les bras ballants, regarde l’herbe sans répondre. Le père insiste, tente un sourire, mais la voix trahit une impatience. L’enfant finit par taper la balle du bout du pied, puis retourne vers le sac. Scène banale d’une initiation ratée. À trop vouloir transmettre une passion, on risque d’en faire un fardeau.

Comment, alors, initier ses enfants au golf sans les dégoûter ? La question traverse de nombreuses familles de golfeurs, notamment parmi les baby-boomers, une génération pour qui le golf n’est pas seulement un loisir, mais un art de vivre. En France, près de 30 % des licenciés ont plus de 60 ans, selon les chiffres de la Fédération française de golf (FFGolf). Beaucoup d’entre eux rêvent de voir leurs petits-enfants suivre leurs pas sur le green. Mais cette transmission, aussi naturelle semble-t-elle, se heurte à de nouveaux défis : des enfants qui zappent vite, une culture du sport plus fun que ritualisée, et une pédagogie souvent mal adaptée.

En 2023, la FFGolf recensait environ 25 000 jeunes licenciés de moins de 18 ans, un chiffre qui reste stable, mais relativement faible comparé à d’autres disciplines. Malgré les nombreuses initiatives, les stages juniors ou les écoles de golf labellisées, la pratique peine à séduire durablement les plus jeunes. Le problème ne réside pas tant dans le sport lui-même que dans la manière dont il est proposé aux enfants. Trop tôt, trop strict, trop technique : le golf peut vite devenir un repoussoir si l’adulte projette plus qu’il ne propose.

Michel, 63 ans, retraité et golfeur depuis trente ans, en a fait l’expérience avec son petit-fils. « À peine il tenait debout que je lui ai mis un club dans les mains. Je pensais que ça serait magique… mais il n’a jamais accroché. J’ai compris trop tard que je l’étouffais avec mes attentes. » Ce type de témoignage est fréquent. Derrière l’envie sincère de partage, se cache parfois une pression douce, presque invisible, mais bien réelle.

Les psychologues du sport sont unanimes : la motivation intrinsèque est la clé d’un engagement durable chez l’enfant. « Il faut que l’enfant joue pour lui, pas pour faire plaisir à papa ou papy », rappelle Élise Hauser, psychologue spécialisée dans le développement de l’enfant. Dans un article publié sur le site de Lucile Woodward, elle insiste : « Le plaisir doit être le moteur. Si on met l’accent trop tôt sur la performance ou la technique, on détruit ce plaisir. »

Cette tendance à la spécialisation sportive précoce est d’ailleurs de plus en plus remise en question. Une étude relayée par Kinesport, réseau de professionnels du sport santé, montre qu’une spécialisation avant 12 ans augmente les risques de blessure, de lassitude, voire de décrochage. Le modèle anglo-saxon, encore très influent dans les clubs français, pousse parfois à la compétition dès l’âge de 6 ou 7 ans. Mais de nombreux experts plaident pour une approche multisports, plus ludique, où le golf ne serait qu’un terrain parmi d’autres pour explorer le mouvement, la coordination, la gestion des émotions.

Alors comment faire ? Il faut commencer par repenser l’initiation. Le golf doit devenir un jeu, pas une discipline. « Avant de leur apprendre le grip, je leur apprends à lancer une balle, à viser une cible colorée, à courir entre les drapeaux », explique un moniteur diplômé de la PGA France, spécialisé dans l’enseignement aux moins de 10 ans. Son credo : faire oublier le mot « swing » pendant les premières séances. « L’enfant doit s’approprier l’espace, expérimenter, rire. Le geste viendra plus tard. »

Cette approche est de plus en plus présente dans les écoles de golf les mieux notées. À l’Academy de l’Old Course de Cannes-Mandelieu, le programme « Baby Golf » propose des séances adaptées dès 4 ans, avec balles en mousse, cibles mobiles, tapis colorés. À La Boulie, club historique du Racing Club de France, le parcours junior est conçu comme un terrain d’aventure, et non un terrain d’évaluation.

Les clubs UGOLF ou Bluegreen multiplient également les formats innovants : jeux en équipes, challenges sans scores, récompenses collectives. Les professionnels insistent sur le rôle central du matériel adapté : un club trop lourd ou trop long fausse la posture et les sensations, et décourage rapidement l’enfant. Les kits junior proposés par certains fabricants comme US Kids ou Decathlon sont conçus pour correspondre précisément à la taille et à la force de l’enfant. Mais il ne suffit pas d’avoir le bon club : encore faut-il qu’il soit donné au bon moment.

Et puis il y a le rôle des parents. Crucial, mais souvent piégeux. Trop impliqué, trop exigeant, trop directif… Le parent golfeur doit souvent apprendre à se mettre en retrait, à faire confiance à l’encadrement, et à respecter le rythme de son enfant. « Il faut accepter que votre enfant ne swingue pas comme vous, qu’il n’aime pas ce que vous aimez, ou qu’il préfère faire des roulades dans le bunker plutôt que de putter sur le green », sourit une autre coach interrogé sur ce sujet.

Ce type de dérive est loin d’être isolé. Philippe Janssen, golfeur passionné, en a fait les frais avec sa propre fille. « Je l’ai mise au golf pendant trois ans. Elle aimait ça au début, mais elle est tombée sur des profs pas assez ludiques, sans psychologie, raconte-t-il. Elle a fini par arrêter. Elle y reviendra peut-être un jour, mais pour l’instant, elle n’en a plus envie. » Le cas de sa fille n’est pas un cas unique. Il évoque aussi celui d’une amie à elle : « Son père lui hurlait dessus pendant les entraînements et les petites compétitions. Elle a tout arrêté. Et je suis certain qu’elle ne réessaiera jamais. »
Ces situations, trop fréquentes, montrent que la qualité de l’encadrement, tout comme l’attitude des parents, peut profondément influencer — parfois irréversiblement — la relation d’un enfant avec ce sport.

Un lecteur résume très justement ce principe fondamental : « Cela doit être un jeu, puis un sport quand on y met de la discipline, puis de la performance si l’enfant la cherche. C’est l’un après l’autre, pas les trois en même temps ; ni surtout pas le dernier en premier. » Une vérité simple, mais souvent oubliée dans l’empressement des adultes à « bien faire ».

Quand le golf devient un moment familial libre, sans enjeu ni obligation, la magie opère. La famille Maréchal, par exemple, a instauré une tradition : un « scramble » à trois, tous les dimanches sur 9 trous. « On ne compte pas les points. Chacun tape la balle du précédent. Ça crée de la complicité, pas de la rivalité », explique le père, Jean-Luc. Sa fille, Lila, 11 ans, ne manque jamais un dimanche. « Ce que j’aime, c’est quand on rigole, qu’on joue avec la balle rose de maman. Et à la fin, on prend un chocolat chaud au club-house. »

Ce type de récit montre que le lien affectif prime sur la progression technique. L’enfant ne retiendra pas son premier birdie, mais le moment partagé. Cela suppose aussi d’accepter le temps long. Le golf est un sport de maturité. Un enfant peut commencer à 6 ans… et ne vraiment y revenir qu’à 16. Cela n’a rien d’un échec. C’est même souvent une réussite discrète.

« J’ai arrêté le golf à 9 ans, confie Quentin, 19 ans, étudiant en école de commerce. À l’époque, je trouvais ça lent, ennuyeux. Mais j’y suis revenu l’été dernier, avec des amis. Et maintenant, j’adore. J’ai compris que ce n’était pas qu’un sport, mais un état d’esprit. » Cette reconversion naturelle est fréquente. Quand le terrain de l’enfance reste un souvenir joyeux, le retour devient une évidence.

Finalement, transmettre une passion, ce n’est pas imposer une trajectoire. C’est offrir un terrain de jeu, un cadre, une disponibilité. Le golf peut être un merveilleux vecteur de lien intergénérationnel, à condition d’en assouplir les codes, de le libérer de ses oripeaux de tradition rigide pour en faire un espace de curiosité et de plaisir.

L’avenir du golf familial se jouera sans doute là : dans sa capacité à devenir un sport d’enfance autant qu’un sport d’expérience, une pratique à la fois libre et structurée, propice à la découverte plus qu’à la performance. Car si l’on veut que les jeunes prennent un jour le relais, il faudra d’abord leur laisser l’envie de jouer.

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