En remportant dimanche à Oak Hill son cinquième tournoi majeur de golf, le premier en tant que golfeur expatrié sur le circuit LIV, et le premier depuis quatre ans, l’américain Brooks Koepka, 33 ans, a une fois plus démontré aux yeux de tous qu’il est un golfeur hors norme, capable de se sublimer sur les parcours les plus difficiles, et quand la pression est à son comble. Parfois mal aimé, incompris, et surtout sous-estimé, en particulier dans son propre pays, probablement en raison d’une forme d’incompréhension entre d’une part, un joueur jugé arrogant, et d’autre part un public qui ne le décode pas bien, Koepka illustre pourtant une manière de jouer au golf qui pourrait tous nous inspirer…
Au départ du 16eme trou, dans la dernière ligne droite d’une épreuve qui touche à sa fin, après quatre jours éprouvants, en particulier pour la tension nerveuse qu’implique un tournoi majeur de golf où toutes les difficultés habituelles d’une partie de golf à haut niveau sont encore décuplées, Koepka en tête avec le trophée en ligne de mire doit encore se soucier d’un adversaire coriace, et qui s’est mis en tête de contrarier ses plans : Viktor Hovland.
Assurément, le norvégien va gagner un majeur… Il s’en approche un peu plus chaque année. Lui aussi va certainement marquer son époque, au même titre qu’un Collin Morikawa.
Mais pour l’heure, le jeune joueur fait face à un immense adversaire, jamais aussi fort que dans pareilles situations.
Un coup les sépare. Ils sont dans la même partie.
Les deux joueurs ont envoyé leurs balles de départ sur la droite du fairway, mais ils se sont retrouvés dans des positions bien différentes.
La balle de Koepka a survolé de justesse le bunker pour finir dans le rough, tandis que celle de Hovland s’est enfoncée dans le bunker, le laissant dans une situation délicate.
On a parfois tendance à l’oublier, mais le destin d’une partie de golf ne se joue pas à beaucoup de choses, parfois un seul tour de balle…
Balle-en-dessous des pieds, la lèvre du bunker directement sur son chemin de club, les choses ont finalement prise une mauvaise tournure pour le jeune homme de 25 ans.
Son fer 9 n’a jamais réussi à franchir la lèvre du bunker. Sa balle s’est plantée là. Un coup de perdu, et en fait bien plus que cela pendant ce moment clé du tournoi…
Qui dit moment clé, dit intense concentration et difficile décision à prendre… l’issu d’un tournoi majeur est en train de se jouer, et n’importe qui à sa place prendrait le temps d’évaluer toutes les possibilités.
Comment droper ? Où droper ?
Plus loin, attentif, Brooks Koepka observait la situation sans broncher. Il jetait occasionnellement un œil en direction de son jeune rival, mais surtout fixait le plus souvent l’horizon devant lui, comme s’il cherchait surtout à ne pas se focaliser sur le présent, et le temps qui s’égrène sans qu’il puisse agir.
Cela a l’air de rien, mais si vous voulez comprendre la force d’un champion majeur, ce n’est pas tant son swing, sa puissance musculaire ou son habileté avec un putter que vous devez ausculter, mais bien plus son attitude, et en particulier dans ses moments précis où l’esprit peut facilement vagabonder ou passer en surchauffe.
Koepka n’est pourtant ni calme, ni patient.
C’est la deuxième chose que j’ai envie de retenir de l’histoire de ce joueur, et qui devrait nous inspirer : Il conçoit le golf comme un sport qui se joue vite, instinctif, agressif, déterminé.
Chez Koepka, point d’hésitation, point de place à la tergiversation, il joue au golf, il tape des coups, et n’en fait pas toute une histoire.
Hovland a fini par prendre une décision, pris son drop, et joué latéralement vers le fairway, en sachant sans doute à ce moment qu’il était en train de perdre le tournoi, et tout cela pour une maudite balle tombée un centimètre trop courte ou trop longue, question de point de vue.
Dix secondes après que le norvégien eut tapé son coup, Koepka avait déjà lancé sa balle en direction du green.
Tout s’est passé si vite que la foule a été prise de surprise. Tout s’est passé si vite que les caméras n’avaient pas eu le temps de se mettre en position. Tout s’est passé si vite que cela semblait presque négligent…
Bien entendu, cela ne l’était pas. C’est tout simplement comment Koepka joue, et ce qui explique pourquoi il est si fort en majeur, et disons le plus fort que tous les autres, au moins pour les 6 à 7 dernières années sur l’US Open ou l’US PGA Championship, les deux majeurs où il semble toujours joué comme dans un fauteuil ou à la maison.
Koepka n’est en fait pas un golfeur comme les autres. Sans doute d’ailleurs que si cela avait été possible, il aurait préféré être un joueur de football américain, un basketteur ou un hockeyeur, et là-encore le meilleur dans son sport.
Pourtant, il s’est trouvé meilleur en golf que dans les autres sports traditionnels. Koepka n’est pas apprécié plus que cela par la nomenklatura golfique car lui-même ne se sent pas un golfeur. C’est un peu un éléphant dans un magasin de porcelaines.
Il est tout simplement bon en golf. Cela ne veut pas dire qu’il épouse tous les codes de ce sport. En revanche, il se prépare comme un athlète de très haut niveau, et comme tel, il met tout en œuvre pour gagner.
Plus que le golf, il aime gagner.
Mais moins parfois que d’autres, il ne se la raconte pas, et ne se regarde pas jouer. Il peut s’emporter contre un JB Holmes qui met des plombes à enfiler son gant de golf, et à imaginer un coup, au point d’allonger les parties au-delà des cinq heures de jeux…
D’ailleurs, si vous voulez battre Koepka, la bonne stratégie, c’est de ralentir le jeu, de passer votre temps à en perdre. C’est le meilleur moyen de faire sortir Koepka de son rythme.
Hovland était trop occupé à son propre jeu pour se lancer dans une telle stratégie. Le public a finalement réalisé ce qui venait de se passer, et applaudi Koepka.
De son côté, il savait qu’il venait de faire le dernier bon pas vers le Wanamaker, le trophée du vainqueur.
Les deux derniers trous ont été une formalité pour Koepka. Il a joué avec une confiance totale. Il a conclu avec un par sur le trou 17 et un autre par sur le 18, scellant ainsi la première victoire d’un joueur du LIV sur un majeur, ce qui n’est pas prêt de simplifier le débat pour les semaines à venir.
Exclu du PGA Tour, il pourrait bien néanmoins se qualifier pour défendre les couleurs de son pays, en Ryder Cup. Drôle d’ambiance à venir au sein de l’équipe de Zach Johnson… Lui, cela pourrait ne pas l’affecter, mais ce n’est pas nécessairement le cas des 11 autres partenaires, et surtout du capitaine qui sera bardé de questions à ce sujet.
Son départ sur le LIV m’avait en fait étonné. Je ne doutais pas de son attirance pour l’argent. Je me risque à le dire : Koepka n’aime pas spécialement le golf. Il aime le sport de haut niveau, se préparer comme un champion, et gagner.
Pas seulement gagner… mais gagner par K-O, du style « c’est moi le plus fort, et vous êtes tous nuls »
Il ne faut pas chercher loin pourquoi malgré son extraordinaire palmarès, il n’est pas leader en cote de sympathie de la part des médias ou des fans.
Cette nouvelle victoire rappelle puissamment à quel point il est fort.
Son départ sur le LIV m’avait étonné parce que je le pensais justement plus intéressé par la gagne, par être le numéro un plutôt que de jouer des exhibitions, et faire le clown.
Koepka est tout sauf un clown. Ce n’est pas un type très drôle ou très fun. Il ne joue pas au golf pour amuser le public.
C’est pourquoi comme lui sans doute, j’ai cru que son départ sur le LIV était un aveu de faiblesse. Blessé, il ne pensait peut-être plus être capable de jouer à un tel niveau. Son corps en a finalement décidé autrement.
Alors que le soleil se couchait sur le parcours, Koepka a été acclamé par la foule et félicité par ses pairs. Il a levé le trophée avec fierté, sachant qu’il avait mérité cette victoire grâce à son jeu exceptionnel.
Ce qui ne l’a pas empêché d’être rancunier avec un arbitre avec lequel il avait eu une opposition plus tôt sur le terrain.
Quelque part, Brooks Koepka est une sorte de « Tiger Woods blanc », surtout pour sa force mentale, qui de l’extérieur peut le rendre antipathique ou arrogant, et comme l’était le Tigre au plus fort de sa domination.
Pour gagner dans un jeu aussi difficile, sans doute faut-il avoir cette âme de tueur, insensible aux autres, égoïste, chasseur de birdies avec un instinct de tueur. Koepka n’aime pas le golf. Il préfère planter des oiseaux.
Une certaine forme d’intelligentsia du golf ne l’aimera jamais pour cela, parce qu’il réduit la philosophie du golf a quelque chose de très simple, de moins cérébral, de plus instinctif et même animal. C’est pourtant quelque chose à apprendre de lui, et sur la manière de jouer au golf.
Super article